Willy Ronis, grand photographe humaniste, est mis à l’honneur dans l’exposition « Willy Ronis par Willy Ronis » au Kiosque de Vannes depuis le 09 décembre 2022 et jusqu’au 05 mars 2023.
Ce photographe engagé pour la cause ouvrière, a immortalisé les plus grands mouvements sociaux, capturé le quotidien, en arpentant les rues de Paris et mais aussi celles des villes et campagnes européennes.
Depuis sa mort en 2009 à l’âge de 99 ans, il est exposé partout dans le monde.
Présentation de cette grande figure qui fait partie des témoins de notre siècle.
https://youtu.be/U6zCbq8EkzA
Willy Ronis, son enfance
Né le 14 août 1910 dans le 9e arrondissement de Paris, au pied de la butte de Montmartre, il est le fils Tauba Gluckman, une pianiste juive lituanienne installée à Paris depuis 1899 et de Marcus Ronis, juif ukrainien qui arrive à Paris en 1904.
Tous deux fuient l’Empire Russe et ses pogroms.
Tauba et Marcus, mélomanes, se rencontrent dans une amicale d’exilés russes et tombent amoureux. Ils s’installent dans le 9e arrondissement.
Alors que son père est retoucheur en photographie dans son studio « Roness » (le patronyme a été écorché par un agent de l’état civil)
Willy, lui, rêve de devenir compositeur de musique.
Mais, lorsque son père lui offre son premier appareil photographique à ses 15 ans, le jeune homme découvre un autre art, celui de la photographie, qui façonnera toute sa vie. Il réalise ses premiers clichés d’un Paris populaire à l’âge de 18 ans. Nous sommes en 1928.
Après une scolarité au Lycée Rollin, il part à l’Université de la Sorbonne en 1929 afin de devenir compositeur de musique.
Willy Ronis, l’épreuve qui change sa vie
C’est au retour de son service militaire en 1932, que Willy voit sa vie bousculée. Son père atteint d’un cancer est très malade.
Il l’assiste alors dans son studio jusqu’à son décès en 1935. A l’époque, Willy déteste ce travail mais se passionne pour les expositions de photographies. Le studio est vendu. La famille déménage dans le 11ème arrondissement.
C’est en 1936 que Willy réalise ses premiers clichés, loin de la photographie conventionnelle de son père. Ses premières photographies, il les réalise place de la Bastille, le 14 juillet 1936, lors de la victoire du Front Populaire et des manifestations ouvrières.
C’est là qu’il immortalise la Petite fille au bonnet phrygien, une enfant, le poing levé sur les épaules de son père.
« Ce qui m’a sauvé, c’est que je ne suis pas entré en photographie par vocation. Je suis tombé dedans par accident. Je ne le regrette pas puisque ce mariage de raison est devenu mariage d’amour. Mais cela m’a préservé de certains chocs psychologiques, qui m’auraient immanquablement déstabilisé si j’avais dû constater qu’une vocation profonde n’était pas suivie d’effets ou de résultats probants. »
Ces premiers clichés, signés sous le nom de « Roness » jusqu’en 1945, sont publiés par la revue Regards, revue communiste.
« J’ai toujours été motivé par les problèmes économiques et sociaux, disait-il, par la condition humaine… en tant qu’homme et photographe. Je mourrai le cœur à gauche. »
Willy Ronis, le photographe humaniste engagé
Le déclic a lieu.
Willy s’engage dans le photo reportage et plus particulièrement sur le monde ouvrier. L’époque est propice aux commandes.
C’est avec son premier Rolleiflex en 1937, qu’il publie dans Plaisir de France et qu’il réalise ses premiers reportages photographiques.
D’obédience communiste depuis 1923, il est membre du parti communiste de 1945 à 1964, et sera de toutes les manifestations ouvrières comme les grèves chez Citroën en 1938, ou encore chez Renault en 1950.
« J’ai été membre du Parti communiste un certain temps, et j’ai travaillé quelques années pour ce mouvement, tout en restant indépendant. J’étais orienté, certes, mais je suis resté libre! »
Il rencontre de grands photographes que sont Robert Capa, David Seymour, André Kertész, Brassaï et Henri Cartier-Bresson avec lesquels il partage les mêmes idéaux. Il crée avec ce dernier l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires.
« J’avais rencontré Robert Capa et Chim (Seymour) chez mon père, ils venaient se servir de sa glaceuse. Ils étaient reporters de guerre, ils rentraient d’Espagne, ils avaient une auréole ! Moi je ne pouvais pas partir, j’avais ma mère à charge. Mais au moins je pouvais être dehors. » (Arles, juillet 2009)
Pendant la 2e guerre mondiale, après avoir été mobilisé en 1939, il rentre à Paris. Willy fuit le régime de Vichy pour éviter la déportation du fait de ses origines. Il passe clandestinement en zone libre et s’installe à Marseille en 1941, contrairement à sa mère qui malgré son étoile jaune reste vivre à Paris.
C’est pendant cette parenthèse qu’il rencontre et épouse en 1946 Marie-Anne Lansiaux ; la femme de sa vie. Il exerce le métier de décorateur de studio ou encore de régisseur de théâtre.
C’est également pendant ces années Vauclusiennes qu’il immortalise sa femme lors de sa toilette. Ces clichés connaîtront un large succès.
C’est à la Libération que Ronis retourne à Paris. Avec sa femme, ils s’installent dans le 15e arrondissement avec leur fils Vincent Kaldor (fils de Marie-Anne, adopté par Willy).
Il intègre l’agence Rapho en 1946 et reprend le photo-reportage, notamment sur le retour des prisonniers de guerre, les ouvrières, la grève des mineurs de Saint-Etienne en 1948.
Militant pour la reconnaissance de la photographie comme discipline artistique, il collabore avec différentes revues comme Point de vue, l’Ecran français, le Monde et même le magazine Life, parcourt l’Europe au début des années 50, travaille pour Air France, la publicité, enseigne à l’EDHEC…
« Le photographe peut dénoncer des choses. Mais il ne doit pas avoir la prétention de changer les choses. »
Son style est reconnaissable parmi tous, des noir et blanc avec une lumière travaillée. Willy Ronis l’artiste photographe a le vent en poupe et connaît de belles années.
Ce qui l’intéresse, c’est le quotidien, « la poésie de la rue ». Il est le photographe de la vie quotidienne ordinaire, « des tranches de vie », des gens, des passants, du hasard. Son témoignage photographique est universel.
Willy traque l’instant avec un réalisme poétique sans pareil. Pour le photographe, Paris est un cadre parfait pour capturer des images de la vie ordinaire.
Son travail sera récompensé par le « Prix Kodak » en 1947.
« Je ne mets pas en scène, je négocie l’aléatoire. Le photographe ne prémédite pas ses images, Il cherche à capter, dans ses promenades le nez en l’air, les petits bonheurs simples, modestes. »
Il rencontre également un grand succès dans le cadre de son travail, en RDA (République démocratique allemande), pour l’Association d’échanges franco-allemands.
De ce projet où il capture la vie tant industrielle que culturelle du pays, naitra une exposition itinérante, présentée dans 70 sites en France, jusqu’en 1974, puis à Versailles en 2021 « Willy Ronis en RDA – La vie avant tout, 1960-1967 ». Son travail livrera avec empathie et optimisme, la souffrance d’un pays déchiré et coupé en deux.
« J’ai travaillé en parfaite liberté et fait un très beau voyage ! »
Malheureusement, sa manière humaniste de photographier, si particulière, laissant la place à l’instant, à la spontanéité, à la gaieté, à la tendresse, sera critiquée comme étant mièvre, sentimentaliste et trop poétique.
« Vous ne trouverez pas une seule photo méchante, expliquait-il au Monde en 2005. Je n’ai jamais voulu donner des gens une image ridicule. »
Las des critiques, il arrête le photojournalisme en 1972, déçu par le manque de liberté laissée au photographe sur l’utilisation des clichés, et quitte Paris pour s’installer dans le Midi.
Willy Ronis, de la traversée du désert à la renaissance
Sa carrière s’essouffle. Ronis vit une traversée du désert et les années 1970 sont financièrement difficiles.
Il part vivre à L’Isle-sur-la-Sorgue dans le Vaucluse en 1972 avec sa famille. De fait, il rebondit. Il consacre du temps à l’enseignement que cela soit à Marseille, en Avignon, à Aix-en- Provence.
En 1979, il reçoit le Grand Prix national de la photographie. Puis, il retrouve une notoriété en 1980, lorsque il publie sa première monographie Sur le fil du hasard aux Éditions Contrejour, qui reçoit le prix Nadar en 1981.
De nouveaux projets voient le jour, publications, expositions, cartes postales, mais entachés par le deuil. Vincent, son fils décède brutalement dans un accident de deltaplane en 1988, puis Marie-Anne, son amour, en 1991.
Veuf et sans enfant, il fait don de son œuvre à l’Etat (82 000 négatifs, 6 000 diapositives couleurs, 18 000 tirages, 6 albums comportant 590 tirages de référence, 26 cartons d’archives, 720 volumes de bibliothèque, 400 volumes de périodiques), nomme quatre exécuteurs testamentaires, détenteurs du droit moral de son œuvre et chargés de veiller à son utilisation.
En 2001-2002, touché par l’arthrite, il réalise sa dernière série de photos et arrête la photographie à l’âge de 91 ans.
En 2005, une grande rétrospective lui est consacrée à l’Hôtel de ville de Paris (500 000 visiteurs), et en 2009 les 40e Rencontres d’Arles le mettent à l’honneur.
Willy Ronis décède à 99 ans dans la nuit du 11 au septembre 2009 à l’Hôpital Tenon dans le 20ème arrondissement de Paris. A presque centenaire, il n’a pas le temps de terminer sa dernière exposition prévue en 2010, pour son 100e anniversaire.
Willy Ronis récompenses et distinctions
– 1947: prix Kodak
– 1957 : médaille d’or à la Biennale de Venise
– 1979 : grand Prix national de la photographie
– 1981 : prix Nadar, pour son livre Sur le fil du hasard, publié aux éditions Contrejour
– 1990 : Chevalier de la Légion d’honneur
– 1993 : nommé membre de la Royal Photographic Society
– 1994 : Officier de l’ordre national du Mérite
– 1998 : docteur honoris causa de l’université de Warwick (Royaume-Uni)
– 2001 : Commandeur de l’ordre national du Mérite
– 2006 : Lucie Award pour l’œuvre d’une vie, New York
– 2008 : Officier de la Légion d’honneur
– 2015 : Une voie porte son nom dans le 20e arrondissement de Paris « photographe humaniste »
– 2019 : une plaque est apposée sur son domicile, passage des Charbonniers, Paris, 15e arrd
Willy Ronis, ses publications les plus reconnues
– 1954 : Belleville Ménilmontant, textes de Pierre Mac Orlan, Éditions Arthaud, Paris.
– 1981 : Sur le fil du hasard, Contrejour 1981 (prix Nadar)
– 1985 : Mon Paris, aux Éditions Denoël, Paris
– 1986 : Willy Ronis photographe, Gérard Pinhas éditeur
– 2001 : A nous la vie ! : 1936-1958, avec Didier Daeninckx, Éditions Hoëbeke
– 2001 : Pour la liberté de la Presse, Reporters Sans Frontières, Paris,
– 2004 : Le Val et les Bords de Marne, Éditions Terre Bleue, Paris,
– 2005 : Willy Ronis, Actes Sud, Arles,
– 2005 : Paris, éternellement, avec Daniel Karlin, Éditions Hoëbeke, Paris,
– 2006 : Willy Ronis (photogr. Willy Ronis), Ce jour-là, Mercure de France, coll. « Traits portraits »
– 2007 : Les chats de Willy Ronis, Flammarion, Paris
– 2008 : Nues, avec Philippe Sollers, Éditions Terre Bleue, Paris,
– 2008 : Provence, Éditions Hoëbeke, Paris,
-2010 : Derrière l’objectif de Willy Ronis, Éditions Hoëbeke, Paris
– 2012 : Le siècle de Willy Ronis, avec Françoise Denoyelle, Éditions Terre Bleue
– 2018 : Willy Ronis par Willy Ronis – Le regard inédit du photographe sur son œuvre, Flammarion, Paris,
– Willy Ronis en RDA – La vie avant tout, 1960-1967
Willy Ronis, ses plus célèbres clichés
Le Nu Provençal, 1949
En 1949 Ronis réalise le « Nu Provençal », qui devient l’une de ces plus célèbres photographies.
On y voit sa femme, Marie-Anne, en contre-jour, un jour de grande chaleur, de dos, se rafraîchissant à l’aide d’une bassine.
« Avec ma femme, nous avions acheté une ruine à Gordes et nous avions décidé d’y passer nos vacances. Le confort était rustique, il n’y avait pas d’électricité et nous devions aller chercher l’eau à une fontaine. Un matin, alors que j’allais prendre mon petit déjeuner, j’ai vu ma femme en train de faire sa toilette. Je lui ai dit, ne bouge pas, et je suis allé chercher en vitesse mon Rolleiflex qui était sur le buffet. J’ai gravi deux marches de l’escalier qui montait au grenier. J’ai pris quatre photos. Pas une de plus. Cela m’a pris à peine une minute. »
Rue Muller, Paris, 1934
« Montmartre, Rue Muller, 1934. C’est la nuit, j’ai travaillé sur pied, c’est rare, j’ai profité de la pluie, pour les reflets. Je préfère travailler en vitesse. Habitant non loin, j’avais repéré cet escalier. C’est une photo dans l’esprit du réalisme poétique de l’époque, on a l’impression d’un décor en studio, à la Trauner, que j’ai connu plus tard. J’ai fait un temps partie de la bande à Prévert. »
Place Vendôme, Paris, 1947
« C’était une fin de matinée, sur la place Vendôme. Tout à coup, je ne sais pas pourquoi, je baisse la tête et je remarque une flaque d’eau. Je me penche encore et en la regardant bien attentivement, je vois qu’un trésor se cache dans cette flaque, la colonne Vendôme s’y reflète, j’ai bien sûr tout de suite envie de faire une photo. »
Le Petit Parisien, 1952
Pour le photographe, cette photographie représente la vie quotidienne de l’époque. Elle offre une image universelle d’un moment de vie ordinaire.
« Il était midi, je suis allé dans mon quartier rôder du côté d’une boulangerie. Dans la queue, j’ai vu ce petit garçon, avec sa grand-mère, qui attendait son tour. Il était charmant, avec un petit air déluré. J’ai demandé à sa grand-mère : S’il vous plaît, madame, est-ce que vous m’autoriseriez à photographier ce garçon quand il sortira avec son pain ? J’aimerais bien le voir courir avec son pain sous le bras. Mais oui, bien sûr, si ça vous amuse, pourquoi pas ? »
Les amoureux de la Bastille, Paris, 1957
Lors d’une balade dans Paris, Ronis aperçoit un couple, de dos, qui contemple les toits de la capitale. Fugacement, il immortalise la scène. Cette image deviendra une des plus célèbres du photographe.
Eric CANTO Photographe : Photos de concerts, portraits, pochettes d’albums.
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