Dorothea Lange, fondatrice du photojournalisme aux Etats-Unis, est une spécialiste de la photographie d’après-guerre, notamment du temps de la Grande Dépression et de la crise économique américaine des années 30. Elle a été missionnée par la Farm Security Administration (FSA « Administration de la sécurisation des fermiers ») pour relater la réalité de la vie des américains appauvris et permettre à l’Etat de soutenir financièrement les plus précaires.
Durant toute sa carrière, elle dénonce avec réalisme les injustices de manière émouvantes dans le but de sensibiliser, de mobiliser l’opinion publique et de faire changer les choses.
Retour sur la vie de cette artiste réaliste et engagée.
Dorothea Lange, fiche d’identité
Naissance : le 26 Mai 1895 à Hoboken, New-Jersey, Etats-Unis
Décès : le 11 octobre 1965 à San Francisco, Californie, Etats-Unis
Enfants : Daniel Dixon et John Dixon
Époux : Paul Schuster Taylor (m. 1935-1965) et Maynard Dixon (m. 1920-1935)
Genre artistique : photographie, journalisme, portrait
Distinctions: Bourse Guggenheim en 1941, National Women’s Hall of Fame en 2003 et California Hall of Fame en 2008, un cratère de la planète Mercure est nommé Lange en son honneur depuis 2009
Emploi: Farm Security administration (FSA), War Relocation Authority, San Francisco Art Institute
Dorothea Lange, biographie
Née le 26 mai 1895 à Hoboken, elle vient d’une famille d’origine allemande installée dans le New Jersey. Plusieurs épreuves vont jalonner son enfance. D’abord atteinte d’une poliomyélite à l’âge de 7 ans qui la handicape toute sa vie, elle est abandonnée par son père à l’âge de 12 ans.
Dorothea suit des études à l’Université Columbia de New-York, et travaille pour le photographe Arnold Genthe.
Après la 1ère guerre mondiale, en 1918, elle s’installe en Californie, à San Francisco, où elle ouvre un studio photo qui devient vite florissant. C’est l’époque des années folles et de la forte croissance économique. En 1920, elle épouse Maynard Dixon qui lui donne deux fils, Daniel et John.
Après leur divorce en 1935, Dorothea a élevé les deux enfants seule, tout en poursuivant sa carrière de photographe.
Daniel et John ont tous deux suivi des voies créatives. Daniel est devenu un célèbre musicien de jazz, connu sous le nom de Dan Dixon. Il a enregistré plusieurs albums de jazz au cours de sa carrière, dont certains ont été nominés pour des prix Grammy. John, quant à lui, est devenu un photographe et cinéaste documentaire, suivant les traces de sa mère. Il a notamment réalisé des documentaires sur des sujets tels que la guerre en Irak et la lutte pour les droits des travailleurs agricoles aux États-Unis.
Les fils de Dorothea Lange ont tous deux reçu une éducation artistique grâce à leur mère, qui les a encouragés à poursuivre leurs passions créatives. Ils ont également tous deux été influencés par le travail de leur mère en photographie documentaire et sociale, et ont continué à poursuivre cette tradition dans leur propre travail.
Dorothea Lange a eu trois petits-enfants, issus de son fils John et de sa femme, la photographe et documentariste Elizabeth Partridge. Leur fils, Dylan, est un musicien et compositeur de musique de films. Leur fille, Anna, est une artiste et graphiste. Leur autre fils, Walker, est également artiste et photographe, et a travaillé sur plusieurs projets documentaires.
Bien que Dorothea Lange ne soit pas directement impliquée dans le travail de ses petits-enfants, son héritage en tant que photographe documentaire a certainement influencé leur travail et leur vision artistique. En outre, Elizabeth Partridge a travaillé sur plusieurs livres documentaires pour enfants, en utilisant souvent les photographies de Dorothea Lange pour illustrer les histoires de la Grande Dépression et d’autres sujets historiques importants.
Mais, 1929 et son krach boursier, suivi de la Grande Dépression arrivent, faisant plus de 14 millions de chômeurs. Les entreprises font faillite, les agriculteurs serrent les dents face à la sécheresse, aux tempêtes de sable, aux exportations fermées.
En plus de la crise économique et de l’exode rural, les migrants arrivent en masse, fuyant les régimes totalitaires européens. Des camps de réfugiés se forment dans les campagnes américaines.
Face à ce chaos, Dorothea Lange abandonne le studio et décide de photographier les sans-abris, la pauvreté, cette population en souffrance. Son objectif est de sensibiliser l’Amérique sur les difficultés rencontrées par toute une population. Sa photographie se politise. L’artiste s’engage.
« J’ai réalisé que je photographiais les seules personnes qui m’ont payée pour cela. Cela m’a dérangé. Alors j’ai fermé ce lieu, et démonté ma chambre noire. Je me suis demandé : qu’est-ce que j’essaie de dire ? J’ai vraiment voulu me regarder en face. »
« Un appareil photo vous apprend à voir sans un appareil photo. »
En 1935, elle est l’assistante de son 2ème mari Paul Schuster Taylor qui travaille pour la RA (Resettlement Administration – Office de la réinstallation qui aide les familles migrantes à se reloger). Cet office est crée par l’administration de F.D. Roosevelt du New Deal pour prélever les informations sur le terrain, mettre en lumière les inégalités et ainsi mettre en place une politique plus « sociale ».
Lange touche les lecteurs avec ses clichés ainsi que la Federal Emergency Relief Administration (office de l’aide d’urgence fédérale), et grâce à ses images, elle arrive à débloquer un financement pour la construction d’un camp de migrants à Marysville.
Ses travaux photographiques suscitant l’intérêt, elle est recrutée comme photographe de terrain par la RA qui devient en 1937 la Farm Security Administration.
Ses publications dans le San Francisco News vont permettre de débloquer des fonds pour une aide alimentaire en urgence pour les plus démunis.
Cette période est une charnière, un tournant important dans la carrière de la photographe et du photojournalisme.
C’est à cette période que sera pris son plus célèbre cliché « Migrant Mother » portrait de Florence Thompson, mère de 32 ans d’origine amérindienne, veuve sans argent, qui vit dans un camp de cueilleurs, et vend des pneus pour nourrir ses enfants.
« J’avais vu et je m’étais alors rapprochée de cette mère affamée et désespérée, comme attirée par un aimant. Je ne me souviens pas comment je lui ai expliqué ma présence ou mon appareil photo, mais je me souviens qu’elle ne posait aucune question. J’ai fait cinq prises, en travaillant de plus en plus près dans la même direction. Je ne lui ai pas demandé ni son nom ni son histoire.
Elle m’a dit son âge, qu’elle avait trente-deux ans. Elle a dit qu’ils avaient vécu grâce à des légumes dans les champs environnants, et les oiseaux que les enfants avaient tués. Elle venait de vendre les pneus de sa voiture pour acheter de la nourriture. Là, elle était dans cette tente, avec ses enfants blottis autour d’elle, et semblait savoir que mes photos pourraient l’aider, et elle m’a aidée. Il y avait une sorte d’égalité à ce sujet. »
Elle travaille pour la FSA jusqu’en 1939, sort la même année son livre American Exodus : a record of Human Erosion, puis reçoit la bourse Guggenheim en 1941.
Elle décide de s’envoler pour le Japon en 1942 après l’attaque de Pearl Harbor, pour le compte de l’Office of War Information. Le but étant de documenter la vie des Japonais dans les camps d’internement américains et de démontrer la bienveillance du régime américain envers la population japonaise.
Malheureusement le photo reportage montre une réalité bien différente, des conditions de vie choquantes et déshumanisées.
Le gouvernement interdit la diffusion des clichés de la photographe. Il faut attendre 2006 et la publication du livre Impounded : Dorothea Lange and the censored impages of Japanese americain internment pour que l’on découvre ces photos de guerre.
S’en suivent de graves soucis de santé, qui nécessitent un « break » pour la photographe.
Dorothea Lange reprend son activité en 1951 et travaille pour Life en Irlande, au Venezuela, en Syrie…
La photographe décède le 11 octobre 1965 à San Francisco, en Californie, des suites d’un cancer, à l’âge de 70 ans.
En effet, la cause de sa mort était une rupture d’estomac, qui s’est produite peu de temps après une intervention chirurgicale pour retirer une tumeur cancéreuse. Elle avait souffert d’un cancer du pancréas depuis quelque temps avant sa mort.
Malgré sa maladie, Lange a continué à travailler jusqu’à la fin de sa vie et a laissé derrière elle un héritage important en tant que l’une des photographes les plus influentes et les plus importantes du 20ème siècle.
Toutes ses œuvres sont léguées à l’Oakland Museum of California Art Department et plusieurs expositions posthumes s’organisent comme la rétrospective du MoMA de 1966.
Dorothea Lange, bibliographie
- Partridge, Dorothea Lange, A Visual Life, Washington-Londres, Smithionian Press, 1994
- Dorothea Lange, Photographies d’une vie, Könemann, 1998
- An American Exodus : A Record of Human Erosion, Éditions Jean-Michel Place, 1999 (1reéd. 1939 (Reynal and Hitchcock))
- Hans-Michael Koetzle, Photo Icons, the story behind the pictures, Volume 2, Taschen, coll. « Icons », 2002
- Pierre Borhan, Dorothea Lange, le cœur et les raisons d’une photographe, Éditions du Seuil, 2002
- Linda Gordon et Gary Y. Okihiro(en), Impounded : Dorothea Lange and the Censored Images of Japanese American Internment, éditions Norton, 2006
Spécificité des photos de Dorothea Lange
Dorothea Lange est une photographe américaine connue pour ses photographies documentaires qui témoignent de la vie des travailleurs migrants pendant la Grande Dépression des années 1930 aux États-Unis. Ses photographies sont considérées comme des icônes de l’histoire de la photographie documentaire et ont eu un impact significatif sur la prise de conscience sociale et la lutte pour les droits civiques.
La spécificité des photos de Dorothea Lange réside dans leur capacité à capturer l’humanité et la dignité de ses sujets, souvent en situation de précarité et de souffrance. Ses photographies, souvent en noir et blanc, sont composées de manière à mettre en avant les expressions et les gestes de ses sujets, soulignant ainsi leur histoire et leur vécu.
Lange a souvent travaillé avec des appareils photographiques légers et portatifs, ce qui lui a permis de se déplacer facilement et de prendre des photos sur le vif, dans des conditions souvent difficiles. Elle a également utilisé des cadrages serrés pour créer une proximité émotionnelle avec ses sujets et montrer les détails de leur vie quotidienne.
Enfin, les photographies de Lange ont souvent été accompagnées de légendes et de commentaires écrits, qui ont contribué à leur dimension documentaire. Ces textes ont souvent été écrits en collaboration avec les sujets eux-mêmes, ce qui a permis de donner une voix à ceux qui étaient souvent ignorés ou marginalisés dans la société.
Dans l’ensemble, la spécificité des photographies de Dorothea Lange réside dans leur capacité à raconter des histoires complexes et à susciter l’empathie et la compassion pour ceux qui souffrent et qui sont exclus de la société. Ses photographies sont un témoignage poignant de l’histoire de l’Amérique et de l’humanité universelle.
FOCUS sur la photographie Mère Migrante
Migrant Mother, est le portrait noir et blanc phare de Dorothea Lange, symbole également du photojournalisme d’après-guerre, et œuvre symbolique de la Grande Dépression américaine. Elle est sa photographie la plus célèbre, prise en 1936 dans un camp de travailleurs migrants en Californie.
La photo montre Florence Owens Thompson, une mère de sept enfants, qui se tient en regardant vers le bas avec un regard grave tandis que ses trois enfants se blottissent contre elle. La photo est devenue un symbole de la Grande Dépression et de la lutte pour la survie de la classe ouvrière américaine.
« Migrant Mother » a été largement publiée et exposée, et est devenue l’une des images les plus emblématiques de l’histoire de la photographie américaine. Elle a également contribué à faire connaître le travail de Dorothea Lange et son engagement envers la photographie documentaire et sociale.
Décryptage.
Ce portrait pris en mars 1936, présente Florence Owens Thompson, 32 ans, mère de sept enfants, dans un camp provisoire de cueilleurs de pois qui manquent de tout. Ce camp est habité par plus de 2500 migrant.e.s.
Son visage marqué, le regard perdu dans le vide, et son expression préoccupée traduisent une extrême détresse : celle de la survie. Florence Owens Thompson incarne la misère du monde rural aux États-Unis, touché par la chute des prix agricoles et par des phénomènes climatiques extrêmes comme le Dust Bowl.
Se saisissant de la photographie comme preuve et arme de dénonciation, Dorothea Lange a rendu visible cette terrible pauvreté. Le succès de la photographie est fulgurant. Les migrants de ce camp reçoivent une aide immédiate.
Malgré qu’il ait été retouché (un pouce sur l’arbre en bas à droite a été supprimé pour des raisons d’esthétisme), ce portrait acquiert une portée universelle, rappelant la peinture « de la Vierge à l’enfant » et Dorothea Lange est pour toujours associée au visage de Florence Owens Thompson.
Malgré les tentatives en 1978 de Florence Thompson de faire interdire la photographie ; las d’être l’icône de la misère humaine ; sa famille, quelques années plus tard, a réutilisé le succès international de ce cliché pour lever des fonds afin d’aider Florence à lutter contre son cancer.
Dorothea Lange a réalisé de nombreuses photographies célèbres pendant la Grande Dépression. Outre « Migrant Mother », une autre de ses photos les plus célèbres s’intitule « White Angel Breadline » (La file d’attente de la White Angel). Cette photo a été prise en 1933 à San Francisco et montre des hommes faisant la queue pour obtenir de la nourriture et de l’aide dans une soupe populaire.
La photo montre une longue file d’hommes en haillons, certains assis, d’autres debout, attendant leur tour pour recevoir de la nourriture. Elle a été prise pendant une période de grande pauvreté et de chômage dans tout le pays et témoigne de la misère de l’époque.
Comme « Migrant Mother », « White Angel Breadline » est devenue une image emblématique de la Grande Dépression et est largement reconnue comme l’une des photographies les plus importantes de l’histoire de la photographie documentaire.
Dorothea Lange a réalisé de nombreuses photographies célèbres pendant la Grande Dépression, certaines sont :
- « Toward Los Angeles, California » (Vers Los Angeles, Californie), une photo prise en 1937 qui montre des travailleurs migrants assis dans un train, avec pour toile de fond une usine en ruine. Cette image symbolise la migration massive de travailleurs pauvres vers la Californie à la recherche de travail.
- « Destitute pea pickers in California. Mother of seven children. » (Ramasseurs de pois sans ressources en Californie. Mère de sept enfants), une photo prise en 1936 qui montre une famille de travailleurs migrants assis dans un campement de fortune. La photo montre l’impact de la Grande Dépression sur les familles les plus pauvres.
- « An American Exodus » (Un exode américain), une série de photos prises entre 1935 et 1939 qui documentent la migration de travailleurs pauvres et de fermiers de l’Oklahoma vers la Californie. Cette série de photos est considérée comme l’une des plus importantes œuvres documentaires de Dorothea Lange.
Ces photos sont toutes des exemples de l’engagement de Dorothea Lange envers la photographie documentaire et sociale, et de son désir de mettre en lumière les conditions de vie difficiles des Américains pendant la Grande Dépression.
FAQ sur Dorothea Lange
Qui est Dorothea Lange ?
Dorothea Lange était une photographe américaine qui a produit des images puissantes et influentes qui documentent la Grande Dépression, le mouvement des droits civiques et les déplacements des populations rurales. Elle a été reconnue pour avoir capturé les visages et les conditions de vie de l’Amérique durant une période historique difficile.
Où a grandi Dorothea Lange ?
Dorothea Lange est née le 26 mai 1895 à Hoboken, dans le New Jersey. Elle a grandi à Hoboken et a ensuite déménagé à San Francisco en 1918.
Quand a-t-elle commencé à prendre des photos ?
Dorothea Lange a commencé à prendre des photos à l’âge de 16 ans et a commencé à travailler en tant que photographe professionnelle à l’âge de 30 ans.
Quels sont ses principaux sujets photographiques ?
Les principaux sujets photographiques de Dorothea Lange étaient la pauvreté et le dénuement des familles de la Grande Dépression, le mouvement des droits civiques et le déplacement des populations rurales.
Quel est son travail le plus célèbre ?
Le travail photographique le plus célèbre de Dorothea Lange est probablement sa série sur la Grande Dépression intitulée «Migrant Mother», qui a été prise en 1936. Cette photo a été largement considérée comme un symbole visuel de la misère et de la détresse des familles durant la Grande Dépression.
Quelle est la plus grande réussite de Dorothea Lange ?
La plus grande réussite de Dorothea Lange est probablement sa capacité à capturer visuellement l’expérience et les conditions de vie des personnes durant la Grande Dépression et le mouvement des droits civiques, ce qui a permis aux gens de mieux comprendre et de s’engager avec ces sujets.
Qu’est-ce que Dorothea Lange a apporté à l’art de la photographie ?
Dorothea Lange a apporté une nouvelle approche à la photographie documentaire en utilisant une approche plus empathique et humaine pour capturer ses sujets. Elle a également inventé la technique de «photographie documentaire» qui a influencé de nombreux photographes documentaires à travers le monde.
Qui était le mari de Dorothea Lange ?
Le mari de Dorothea Lange était Paul Schuster Taylor, un professeur d’histoire et un défenseur des droits des travailleurs agricoles. Ils se sont mariés en 1935.
Quelles sont les expositions les plus importantes de Dorothea Lange ?
Les expositions les plus importantes de Dorothea Lange comprennent une rétrospective en 1939 à la Galerie Julian Levy à New York, une exposition à la San Francisco Museum of Modern Art en 1949 et une exposition au Museum of Modern Art de New York en 1966.
Quand est-elle décédée ?
Dorothea Lange est décédée le 11 octobre 1965 à San Francisco, Californie, des suites d’un cancer du col utérin. Elle était âgée de 70 ans.
Eric CANTO Photographe : Photos de concerts, portraits, pochettes d’albums.
Visitez mon portfolio Visitez le blog Visitez le shop Contactez moi